Actualités  |  Jeudi 22 mars 2007

L’ÉQUATION CASSE-TÊTE DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

Pratiquement plus personne ne met en cause le réchauffement climatique de la planète ni la responsabilité des activités humaines dans cette évolution. C’est un constat, certains diraient un acquis, de ce début d’année 2007. L’avenir de la planète mérite que l’on s’attelle réellement à la promotion d’un développement durable reposant sur les trois piliers de la croissance économique, de la protection de l’environnement et du maintien du tissu social. Mais la complexité des problèmes et le nombre des facteurs qui interagissent entre eux nécessitent des politiques aussi fines que les particules que l’on veut combattre. Non des slogans à l’emporte-pièce, quelle qu’en soit la couleur. Quelques exemples.

Les surfaces bâties ont augmenté de 25% en un quart de siècle en Suisse romande. Cette progression des surfaces dévolues à l’habitat, aux activités et aux infrastructures répond notamment à la croissance de la population et au développement de la société. Mais elle a évidemment une incidence sur le paysage. Face à cette évolution, qui ne peut en effet pas se poursuivre éternellement sans dommage, Pro Natura et quinze autres associations actives dans la protection de la nature et du paysage ont annoncé le lancement d’une initiative populaire. L’objectif est de confier à la Confédération la tâche de limiter l’extension des zones à bâtir.

Si l’on prône ce principe, il ne reste plus qu’une solution pour répondre à l’accroissement de la population qui continue. Il faut densifier là où l’on peut construire et, notamment, bâtir plus haut. On assiste d’ailleurs actuellement au retour en ville de la construction de logements et à la multiplication de projets de tours dans les métropoles du pays. Et c’est là que le bât blesse. Car souvent, les associations écologistes elles-mêmes s’opposent au «bétonnage» de leur cité, disent non à ces projets qu’elles considèrent comme une dégradation du paysage. On a même vu Daniel Brélaz, jusqu’ici considéré comme le syndic super-écolo de la Ville de Lausanne, se faire traiter du plus grand bétonneur de ces trente ou quarante dernières années.

Le réchauffement climatique, qui est un vrai problème, a aussi réchauffé l’ardeur des poseurs de normes en tout genre. Mais avant d’introduire de nouvelles réglementations, ne ferait-on pas mieux de tendre d’abord à respecter celles qui existent? L’habitat, on le sait, est un gros consommateur d’énergie fossile pour le chauffage et, par conséquent, d’émissions de gaz à effet de serre. Pour réduire cet impact, une nouvelle norme d’isolation des bâtiments a été introduite dans notre pays en 2002. En février dernier, le Service de l’environnement et de l’énergie du canton du Vaud a pourtant lancé un pavé dans la mare. Sur un échantillon de 60 dossiers mis à l’enquête et contrôlés entre 2003 et 2006 (de la villa au bâtiment industriel), 60% d’entre eux ne respectaient pas la nouvelle norme d’isolation thermique.

Un dernier exemple. Lorsque le Parlement européen s’est vu soumettre, en décembre dernier, de nouvelles normes antipollution pour les moteurs diesel, le journal Le Monde n’a pas hésité à ironiser. La nécessité de réduire les émissions de particules fines générées par les moteurs diesel n’était pas remise en cause par le journal. Ces objectifs louables lui paraissaient pourtant en complète contradiction avec une autre demande environnementale de la Commission européenne: la réduction des émissions de CO². Car les filtres à particules augmentent la consommation de carburant de 5 à 6% et augmentent d’autant le gaz carbonique rejeté dans l’atmosphère. Et Le Monde de conclure: «La protection de l’environnement a de quoi rendre schizophrène.»

Cet article du quotidien français était un article parmi d’autres. Son but n’était pas de dire qu’il ne faut rien faire contre la pollution. Mais d’amener à réfléchir sur la difficulté du problème. Nous aurions en effet surmonté un obstacle important à la promotion du développement durable si le débat sur l’écologie quittait le terrain des slogans et des interdits, pour celui des réalités complexes et parfois contradictoires.

Olivier Feller

Article publié dans Le Temps du 22 mars 2007