Actualités  |  Lundi 3 novembre 2008

La région du Léman: entre attractivité et étouffement

Faut-il écrire Léman ou L’aimant? Car la région bénéficie d’une formidable force d’attraction. Le lac et ses paysages, entre les Alpes et les vignobles, exercent un pouvoir de séduction très puissant. Depuis l’apparition des premiers touristes, plus récemment avec le classement de Lavaux au patrimoine mondial de l’humanité, la beauté du site est internationalement reconnue. Cette qualité de vie vaut à l’arc lémanique, de Genève à Montreux, d’être le principal pôle de développement économique et démographique de notre pays, avec le grand Zurich. C’est un avantage incomparable pour notre prospérité.

Une population en pleine croissance, de nouvelles entreprises qui s’installent ou se développent, des hautes écoles qui contribuent au niveau élevé de formation et d’innovation technologique, des infrastructures performantes, voilà, aujourd’hui, les principaux atouts d’une région située au cœur de l’Europe développée.

Au-delà des nuages qui s’amoncellent en ce moment sur l’économie mondiale, deux problèmes spécifiques menacent pourtant l’avenir de ce bel édifice: les logements, devenus rares et chers, et les grands axes de communication, de plus en plus embouteillés.

Densifier en hauteur

Pour accueillir les nouveaux habitants qui nous sont annoncés – environ 80’000 dans le seul canton de Vaud d’ici à 2020-2025 – il va falloir construire des logements à un rythme très soutenu. Le terrain constructible n’est cependant pas extensible à l’infini: c’est aussi une ressource non renouvelable. Si nous voulons préserver notre patrimoine naturel, il faut donc favoriser la densification de l’habitat dans les zones déjà construites, en particulier dans les villes, ainsi que dans les friches urbaines qui ceinturent la plupart de nos agglomérations.

Il existe aujourd’hui encore au sein de la population un réflexe psychologique négatif par rapport à la densification de l’habitat. Il est vrai que la plupart des blocs de béton construits dans les années 1960 ne brillent pas par leur esthétique et leur confort de vie. En réalité, la densification ne signifie pas nécessairement laideur ou cages à lapin. Dans de nombreuses villes étrangères, on admire les tours qui y sont aujourd’hui construites, on les contemple, on les trouve belles. Pourquoi ne parviendrait-on pas à faire en Suisse ce qui est beau et attractif ailleurs?

Dans le domaine du logement, le développement durable passe notamment par la construction de tours dans les régions urbaines.

La densification en hauteur permet de construire davantage de logements sur un terrain donné et, par conséquent, d’augmenter la rentabilité de l’investissement consenti. Cela présente un avantage économique.

La densification en hauteur permet de mettre davantage de logements sur le marché, de remédier à la pénurie et de produire un effet modérateur sur les loyers. Cela présente un avantage sur le plan social.

Enfin, la densification en hauteur permet d’utiliser le sol de façon économe. Cela présente un avantage sur le plan environnemental.

Les trois piliers du développement durable sont ainsi pris en compte. Et rien n’empêche que ces tours offrent une bonne qualité de vie à leurs occupants, qu’elles soient entourées de parcs, de zones d’activités, de rencontres et de convivialité. Il suffit pour cela de confier leur réalisation des programmes à des architectes qui savent concevoir autre chose que des immeubles locatifs ressemblant à des cartons à chaussures.

Désembouteiller l’axe Lausanne-Genève

Alors qu’elle est déjà indispensable, la troisième voie CFF entre Lausanne et Genève doit être construite dans les meilleurs délais. Aux heures de pointe, de nombreux voyageurs doivent rester debout, il leur arrive même de se retrouver dans un wagon à bagages. Or, le nombre de voyageurs augmente aujourd’hui plus vite que les prévisions selon lesquelles il devrait s’accroître de 30% d’ici à 2015.

Malheureusement, cette troisième voie CFF n’est pas près d’être construite. Il y a toujours de l’argent pour autre chose, jamais pour elle. A Lausanne comme à Genève, les conseillers d’Etat en charge du dossier sont écologistes. Mais rien ne bouge. Et il faudra dix ans pour la réaliser à partir du moment où le feu vert sera donné…

Pendant ce temps, les besoins continuent de croître et la troisième voie CFF pourrait ne pas suffire à répondre à leur évolution. Selon les prévisions, le trafic routier devrait en effet augmenter de 30% d’ici à 2020 dans le meilleur des cas. C’est inévitable si l’augmentation prévue de la population se concrétise avec l’accroissement des déplacements professionnels et de loisirs qui en résulte.

Ce scénario pourrait provoquer un blocage complet du trafic sur cet axe alors qu’aux entrées de Genève et de Lausanne, ainsi qu’autour de Morges, l’autoroute est de plus en plus souvent congestionnée. L’ex-syndic de Morges et conseiller national Eric Voruz a d’ailleurs dit oui, dans une récente opinion publiée par 24 heures, à une troisième voie autoroutière dans sa région, pourvu qu’elle soit enterrée. Il faut bien admettre que l’autoroute Lausanne-Genève n’a pas été redimensionnée depuis 1964 alors que la population des cantons de Vaud et de Genève a augmenté de plus de 320’000 habitants. Ce qui représente plus que le nombre d’habitants du seul canton de Genève à l’époque!

Des mesures complémentaires à l’adaptation des capacités de transports, en particulier des transports publics, peuvent d’ailleurs nous aider à gérer les trafics pendulaires domicile-travail. Comme je l’ai développé dans un article publié par Le Temps du 15 septembre 2008, l’extension du travail à domicile dans les branches qui s’y prêtent et une flexibilisation accrue des horaires de travail prennent aujourd’hui de l’ampleur dans de nombreux pays. Le coût plus élevé du pétrole et les embouteillages des heures de pointe accélèrent un virage déjà pris en Suède dès la fin des années 90 (voir www.olivierfeller.ch).

Logements et transports, voilà les deux problèmes prioritaires à maîtriser sur l’ensemble de l’arc lémanique si nous ne voulons pas que l’attractivité de notre région finisse par se retourner contre elle, soit en portant atteinte de manière irrémédiable à son environnement naturel, soit en étouffant son dynamisme, facteur de son bien-être.

Olivier Feller
Député radical au Grand Conseil vaudois

Publié le 3 novembre 2008 sur le site de l’émission «Les Urbanités» de la Radio suisse romande (http://urbanites.rsr.ch), dans la rubrique «Les invités de la rédaction»